N’est-ce pas contre-productif de venir dans un bar pour éviter ses pensées lorsqu’on est télépathe ? Si celles de David s’évaporait avec un peu d’alcool, celles des autres clients des lieux auront besoin de quelques verres supplémentaires pour disparaitre de son crâne. Pourtant, le mutant était toujours là, devant l’enseigne de ce bar, s’apprétant à rentrer pour commander un bon vieux verre de bourbon. Avant, il se complaisait dans toutes sortes de drogues pour oublier sa condition de mutant schizophrène. Toutefois, le jeune homme préférait éviter de reprendre son addiction. Et puis, la drogue est dispendieuse ? David est conscient, il n’aurait pas les moyens de s’en offrir. Il se dirigea donc vers un tout autre type de poison.

Il rentra enfin à l’intérieur des lieux. Son regard se posa instantanément sur un tabouret vide. Ses jambes lui conduisirent, elles étaient maitresses de son corps à présent. Toutefois, à mi-chemin, une tornade rousse s’interposa. Les nombreuses voix qui s’entrechoquaient dans sa tête l’empêchèrent de remarquer cette voix familière qui l’appelait. Aussi, lorsqu’une demoiselle attrapa son bras, le mutant fut complètement surpris et en perdit presque son équilibre.

« Alya ! Ça va, j’ai toujours pas trouvé de travail stable mais je vis avec. Et toi ? J’ai l’impression que tu t’amuses beaucoup. »

David ne pouvait être le mieux placé pour lui faire la leçon. Lui et Alya était sortis plus d’une fois dans ce genre d’endroit. Bon, en général, les deux zigotos restaient un tant soit peu raisonnable ce qui ne semblait pas être le cas de son ancienne collègue ce soir. Ils s’étaient rencontrés à l’époque, lorsque Alya enchainait également les petits boulots. Ils s’étaient échangés plusieurs bons plans, s’entraidant du mieux qu’ils pouvaient. Aujourd’hui, la demoiselle avait trouvé un job d’institutrice et David… ben David reste un looser.

« Je crois que tu as suffisamment bu ce soir non ? »

Cette fille avait une sacrée poigne ! Elle avait réussi à trainer le mutant jusqu’à un tabouret. Ses fesses y étaient déposées bien qu’elles sentaient qu’elles n’y resteraient pas bien longtemps. David lançait des regards désapprobateurs au serveur tandis que la rousse tentait tant bien que mal de lancer une nouvelle tournée. Elle n’était clairement pas dans un bon état. Lui resservir de l’alcool serait plus qu’irresponsable.

« Ou alors, on pourrait boire un peu de grenadine avant que je ne te ramène chez-toi ? T’en dis quoi «

Le ton de David était peu assuré. Il tentait de convaincre la demoiselle qu’elle avait assez bu pour la soirée. Dire qu’il était venu ici pour se vider et non pour jouer les Sam à l’improviste. Mais bon, il n’allait tout de même pas laisser Alya seule dans cet état. Elle était vulnérable, qui sait sur quel type de personne louche elle pourrait bien tomber. Le télépathe devait prendre son mal en patience et être la personne responsable de la pièce.

« Ouais, on en buvait toujours UN ! »

David mit l’emphase sur le chiffre de sa phrase. Oui, à l’époque, ils leur arrivaient de sortir dans des bars pour boire quelques coups ensemble. Néanmoins, aussi longuement qu’il puisse s’en souvenir, jamais l’un des deux n’avaient fini saoul. L’état d’Alya l’inquiétait, c’était une jeune fille qui aimait s’amuser mais pas à ce point surtout toute seule dans un bar. Le mutant allait devoir être responsable, lui, la personnification de l’antonyme de ce mot. Trainé de force, il retint un soupire tout asseyant sur ce tabouret. Réussirait-il cette lourde office ? Rien n’était sûre. Il tenterait au moins. Il ne pouvait pas laisser une amie dans cet état.

« Tu sais quoi, allez, va pour ce verre ! »

Non, David n’avait pas perdu la tête, du moins, plus qu’à l’accoutumé. Le télépathe avait une idée derrière cette tête qui n’était jamais vide. Il voyait le serveur s’occuper de leurs verres, les remplissant déjà à ras bords. Au moment où ils furent déposés sur le comptoir, le mutant utilisa ses pouvoirs. Ce qui était censé être de l’alcool fort se transforma en liquide tout ce qu’il y a des plus inoffensifs. Ce breuvage avait la couleur, l’odeur, le goût, mais nullement les effets. Ainsi, il pouvait empêcher Alya de boire de manière subtile. Il prit une gorgée, en profitant d’ailleurs pour ingurgiter son verre cul sec. Autant frimer un peu.

« T’as vu, j’ai une sacrée descente ! Tu devrais essayer ! »

Irait-il en enfer pour cela ? Sa place était déjà bien prête depuis bien longtemps m’enfin ! Il taquinait légèrement la rousse mais n’irait pas plus loin. C’était juste une blague inoffensive qui mettrait la jeune femme de bonne humeur pour l’irrémédiable suite de la soirée.

« Bon, maintenant qu’on a bu ce verre, on y va ? T’as pas changé d’adresse hein ? »

S’amuser c’est bien, avoir l’esprit clair tout en le faisant c’est mieux. David allait déposer la demoiselle chez-elle et absolument pas suivre ses propres conseils en buvant jusqu’au pas d’heure dans n’importe quel établissement de la ville. Faite ce que je dis, pas ce que je fais ! Il en avait besoin, son quotidien était bien trop chargé. Son regard se déposa sur Alya. Si elle était venue jusqu’ici, c’est que cela devait également être son cas. Le mutant déposa son menton sur son poing installé sur le comptoir. Avec ses pouvoirs on pourrait croire le contraire mais la spécialité de David s’était d’être aveugle face à tout malheur qui n’était pas le sien. Ce soir, étrangement, ce n’était pas le cas.

« Ça va pas bien, avoue. »

La mine de la rousse se défit et il n’en fallut pas plus à David pour comprendre que oui, elle n’allait pas bien. La demoiselle était venue dans ce bar pour faire ce que le mutant avait désiré entreprendre tantôt, boire pour oublier. Il le reconnaissait enfin et une grande pointe de compassion s’attaqua à son cœur. Pauvre Alya, elle devait véritablement vivre une épreuve difficile, son visage trahissait absolument tout. Pendant ses traits amusés, légèrement agacés par moment laissèrent place à une mine déconfite. Le mutant devait être là pour son amie. La volonté était là mais, est-ce que les compétences étaient également présentes ? Le télépathe n’était pas certain qu’il en serait capable. Il était connu pour son égoïsme et égocentrisme à tout épreuve. Réussirait-il à remonter le moral de la demoiselle ?

« Becca ? Ta colocataire ? »

Vraiment David qui d’autre ? Le surnom « Becca » était revenu à quelques reprises lors de leurs précédentes conversations. Le mutant sait qu’il s’agit de la colocataire de la rousse ainsi que sa meilleure amie. Il se posait maintenant tout un tas de question. Il semblerait que cette « Becca » ne devait pas être mise au courant de certaines informations. Qu’est-ce que cela pouvait bien être donc ? Alya n’avait pas tué quelqu’un tout de même ? Bon, David serait probablement très mal placé pour lui faire une quelconque leçon même si la demoiselle s’était rendu coupable d’un tel crime. Il résista à l’envie de sonder l’esprit de son amie. Ce sujet semblait grave et devait s’échapper des lèvres fines de son interlocutrice.

« Wow. »

Le mutant avait imaginé mille et un scénario et pourtant, il était resté très loin de la vérité. L’étonnement fit que sa mâchoire se laissa attirer par la gravité qu’à l’accoutumé. Il fallait un peu de temps à David pour tout digérer. Donc, il y avait un type, qui était le frère de la meilleure amie d’Alya. Il était mort à la guerre mais enfaite non et c’est devenu un criminel. Et puis, ce n’était pas tout, car il y avait un autre gars dont Alya était amoureuse, non, c’était peut-être Becca, il ne savait plus mais quelqu’un était éprise d’un type qui a vécu pendant soixante ans dans un glaçon. Et dire qu’il pensait que son existence était compliquée. Maintenant, c’était au tour de David. Le télépathe devait trouver les bons mots pour rassurer la demoiselle. En était-il capable ? Il en doutait toujours. Une centaine de parole s’entremêlait dans son esprit (pour pas changer). Il n’y arrivait pas, il réfléchissait beaucoup trop. Un soupire s’échappa de sa bouche. La télépathe allait improviser. Une mauvaise idée ? Probablement. Mais, il ne pouvait laisser ce silence s’étaler.

« Je sais pas vraiment ce que son frère a fait, mais je pense que qu’importe les crimes qu’il ait pu connaitre, elle serait contente de le revoir. Je peux te l’assurer, même si ma sœur était dans cette ville une criminelle recherchée, je n’en aurai que cure si ça pouvait m’offrir une chance de la tenir à nouveau dans mes bras. »

David avait parlé avec le cœur. Le but n’avait pas été de tourner la conversation autour de lui. Il voulait juste l’aider en donnant son exemple personnel, ce que lui il ferait dans cette situation, le mutant espérait que d’une certaine manière, la jeune femme en serait rassurée.

« Y’aura probablement pas de bon moyen de dire les choses. Elle sera triste ou en colère, mais la meilleure façon pour elle de l’apprendre c’est de ta bouche. »

« Eh bien… Euh… Elle l’idéalisait peut-être mais il reste son frère. Elle doit l’aimer, plus que tout, l’amour fraternel est à tout épreuve. Elle le prendrait dans ses bras. »

Qui est-ce que David tentait-il de convaincre ? Alya ? Ou lui-même ? La vérité ? A part si son amie était la meilleure amie du Shadow King, David était persuadé qu’il avait probablement fait bien pire que ce type qui était le sujet de leur conversation. C’était sûr ! Cet inconnu n’avait pas risqué l’espace-temps pour changer son destin ! Ou alors, la rousse a vraiment le chic pour attirer un type bien spécifique d’enflure dans son sillage. Le mutant était certainement bien plus impardonnable que ce fameux frère de Becca. Alors, entendre son amie lui dire que ce dernier ne recevrait probablement jamais une accolade de sa sœur l’angoissa. Que dirait Amy si elle savait tout ce que David avait fait ? Refuserait-elle une enlace ? Le répudierait-elle ? Non, sa sœur l’avait toujours aimé, envers et contre tout. Elle le soutiendrait, elle lui pardonnerait, Alya exagérait ! Avoir un peu (l’euphémisme) de sang sur les mains ne signifiaient pas qu’on n’était pas une bonne personne, qu’on ne méritait pas d’être aimé. Amy lui pardonnerait, elle ne serait pas dégoutée par sa présence, il devait y croire.

« C’est une bonne idée. A part si ce Steve est au courant pour le frère de Becca. Ça risque de se compliquer sinon. Mais en même temps, si tu lui dis rien et qu’elle apprend d’une autre manière, elle risque de t’en vouloir et de ne plus jamais vouloir t’adresser la parole. Donc, il faut mettre Steve dans la combine. »

David parlait presque à voix haute, élaborant de lui-même un plan compliquer. Les mensonges n’emmènent que des ennuis. Il en avait fait les frais à plusieurs reprises. Pourtant, il conseillait Alya de s’engouffrer dans un dédale d’histoire compliquée qui finirait un jour par lui exploser en pleine figure. Il semblerait que David retienne difficilement ses leçons. En plus d’avoir trouvé un moyen pour recentrer intérieurement les soucis de la rousse sur sa petite personne comme l’égocentrique qu’il est, le mutant lui donnait de très mauvais conseils.

« Steve doit véritablement être ton allié. Une mauvaise est bien plus facile à avaler lorsque tu en as eu une autre quelques temps auparavant car tu commences à relativiser. Ils ont diagnostiqué pour la première fois ma schizophrénie quelques jours après la mort de mon père adoptif. Eh bien, le diagnostic d’une maladie mentale m’a bien moins atteint parce que j’étais en train de vivre des journées de merde. »

David était définitivement incapable d’être un tant soit peu rassurant. Pourtant, il voulait l’aider Alya. Elle était son amie, elle méritait bien que quelqu’un tente quelque chose pour remonter son moral. Le télépathe se mit à maudire sont tous nouveaux sens des responsabilités. Il boirait bien une dizaine de verre, là tout de suite. Mais, il ne pouvait pas craquer. La rousse était déjà bien amochée, boire davantage serait plus que déraisonnable. Il allait devoir se retenir.